Ma fille cadette est née avec de l’avance, le 24 novembre 2006.
Le 13 décembre, jour du jury, j’attendais, champagne au frais, l’appel du rectorat. Je l’ai bien reçu, mais le champagne est resté à sa place, puisqu’une nouvelle fois, le jury suspendait sa décision et demandait une visite de contrôle. J’ai demandé à voir mon dossier (je n’avais toujours pas eu communication du rapport de la première visite de contrôle malgré mes demandes), on m’a répondu d’attendre mon retour de congé.
J’ai été informée par courrier que ma visite de contrôle aurait lieu le 19 mars (pour un retour le 5 mars). J’ai donc refusé que mon médecin prolonge de quatre semaines mon congé maternité, malgré ma fatigue et malgré mon désir de continuer à allaiter exclusivement ma fille cadette, qui semblait présenter la même fragilité du système digestif que sa sœur aînée. J’ai donc fait des réserves de lait au congélateur en vue de ma reprise, et je me suis organisée, avec l’aide de mes collègues, pour tirer mon lait deux fois par jour à l’école pendant la pause déjeuner et l’une des deux récréations de la journée.
Mon retour a été très bien accueilli par les élèves, leurs parents, et par toute l’équipe, j’étais en confiance pour la venue de l’inspecteur et malgré mon anxiété, je me rassurais en me disant qu’il ne pourrait pas ignorer le travail fourni. Les deux semaines précédant sa venue ont été employées à remettre en place les règles de la classe, mises à mal, comme souvent, par le changement d’enseignant, et à poser les bases de nouveaux projets. Un spectacle qui a beaucoup plu aux élèves est venu bouleverser un peu mes plans, puisque j’ai voulu rebondir sur l’intérêt qu’il avait suscité, et j’étais très heureuse des conditions de travail qui se remettaient petit à petit en place.
Une semaine avant sa venue, l’inspecteur a appelé la directrice pour lui expliquer comment se passerait sa visite : il arriverait à 8h10 pour lui parler, puis monterait avec moi en classe jusqu’à l’heure de la récréation (10h) et resterait ensuite avec moi dans son bureau pour l’entretien pendant qu’elle prendrait en charge mes élèves au retour de la récréation. Le matin de sa visite, après avoir fustigé le fonctionnement de l’école (accueil des élèves dans la cour inutile- ils peuvent attendre sur les bancs, passage aux toilettes superflu- ils doivent y penser chez eux avant de venir, arrivée trop tardive des élèves) il m’a informée que finalement la directrice viendrait prendre la classe à 9h30 et non 10h. Le lundi matin, je laisse (laissais…) toujours un peu plus de temps aux élèves pour se retrouver, se réapproprier la classe, c’est aussi un temps où certains élèves viennent me trouver pour se faire consoler d’une séparation difficile après le weekend (séparation plus longue car parent expatrié ou pour cause de garde alternée, maman absente car partie accoucher, etc.). Les rituels prennent aussi un peu plus de temps, car on change les élèves responsables, et la lecture de la date aussi, puisqu’il faut revenir sur les deux jours qu’on a pas comptés.
Bref. Le lundi, la mise en ateliers se fait à 9h30. Autant dire que je me suis trouvée un peu bête devant ce changement de programme de dernière minute, et que la séance en a pâti : en voulant gagner du temps, je suis passée trop vite sur les consignes, les élèves ne les ont pas assez répétées, et le fait de voir leurs habitudes chamboulées ne leur a pas plu. L’ambiance était électrique, j’ai du élever la voix à quatre reprises. Pendant que je me tenais avec le groupe qui était en atelier dirigé, tout en surveillant les ateliers en autonomie, j’ai été apostrophée à plusieurs reprises par l’inspecteur qui avait déjà soufflé bruyamment plusieurs fois pendant le temps de regroupement, me faisant bien sentir sa désapprobation. La première fois, il m’a brutalement enjoint de ne pas aider un enfant à mettre son tablier (en réalité, je m’étais approchée parce que cet élève, très peu autonome, sachant que je ne voudrais pas l’aider, était allé vers l’inspecteur pour se faire mettre son tablier, je venais donc lui dire, « non, ne demande pas au monsieur, va aider ton camarade et ensuite demande lui de t’aider »), me faisant ensuite la leçon sur le thème « si vous le faites à sa place, il n’apprendra jamais rien ». La deuxième fois, il s’est énervé en disant qu’il ne trouvait pas la fiche de préparation correspondant à l’atelier dirigé. Je suis allée le voir et lui ai sorti ladite fiche de l’onglet « préparations » de mon classeur, classeur que je lui avais présenté, ouvert à la bonne page, dès son arrivée dans la classe. La troisième fois ce n’est pas moi qu’il a apostrophée, mais un élève qui tenait mal son feutre. Comme cet élève s’est contenté de le regarder en coin et de continuer de la même façon, il a haussé le ton et a insisté plusieurs fois, jusqu’à ce que je me lève pour dire à l’élève en question, qui souffre d’un handicap moteur, d’aller chercher son tapis anti dérapant dans son casier s’il en avait besoin.
Je sentais bien que les choses étaient mal engagées pour moi, et j’étais donc très soulagée quand, à 9h30, j’ai constaté que les élèves étaient prêts à ranger. Nous nous sommes installés au coin regroupement pour faire le bilan des activités, et j’ai annoncé que la directrice allait bientôt arriver. Nous avons chanté une chanson, discuté un peu, le temps passait, et une fois que je m’étais bien enlisée, et qu’il ne restait plus assez de temps pour lancer un nouvel atelier mais trop pour rester assis jusqu’à l’heure de la récréation, l’inspecteur a daigné m’informer que finalement, il avait demandé à la directrice de ne pas venir, car nous avions perdu trop de temps en montant en classe…
L’entretien s’est déroulé sans surprises, l’inspecteur se défendant à de nombreuses reprises de porter un jugement personnel, prononçant quand même à cinq ou six reprises les mots «congé maternité », et répétant à l’envi qu’il devait prendre sa décision en son âme et conscience professionnelle.
J’ai été une nouvelle fois accusée d’avoir fait exprès de me mettre en difficulté, de ne pas avoir préparé l’inspection, de ne pas avoir fourni les préparations écrites (qui étaient pourtant toutes dans le classeur) ni le plan du déroulement de la matinée (idem : il figurait dans le cahier journal, dans le même classeur et un « plan type » était affiché au mur devant le bureau).
J’ai appris que je n’avais pas un "rôle modélisant" pour les élèves, parce que j’avais dit, agacée par un élève qui faisait des roulades sur le tapis du regroupement au lieu d’aider ses camarades à ranger « on est en classe ici, pas à la gym (au lieu de gymnastique) » , et parce que « la date » étant une responsabilité parmi d’autres sur notre tableau (au même titre que « le rang », « la porte », « les chaises »), j’avais dit « qui ne l’a pas encore fait, la date ? ».
Plus étonnant, je me suis quasiment fait taper sur les doigts parce qu’au cours de l’entretien j’ai dit le mot « truc ». Un mot que j’évite soigneusement devant les élèves, sauf quand je me moque d’eux s’ils s’en servent (« aaaah, oui, je vois, tu veux le truc, celui que truc à truqué dans le truc ») mais dont je n’ai pas de scrupule à me servir dans la vie courante. Or ce monsieur m’a interrompue sèchement : « comment ça « truc » !! vous ne pouvez pas employer un autre langage voyons ? ».
Bref, j’ai admis que j’avais été trop vite sur la formulation des consignes, mais je n’ai pas pu m’en expliquer, étant sans arrêt interrompue par les mêmes mots « vous n’êtes pas là pour vous justifier ». Il a quand même ajouté « si je suis ici, c’est bien qu’il y a un problème, s’il n’y en avait pas, je ne serais pas là ». Implacable raisonnement… on se demande pourquoi il s’est donné la peine d’assister à la classe (cela dit, il n’est pas allé jusqu’à ouvrir les cahiers des élèves, regarder les affichages – sinon il aurait vu le plan de la matinée- ou survoler les progressions).
Je suis remontée dans ma classe, pendant que l'inspecteur échangeait quelques mots avec la directrice avant de quitter les lieux.
(la suite au prochain numéro)